Une jeune femme aux traits émaciés, un bébé dans les bras, lève les yeux au ciel comme dans une prière ou un appel au secours. Le fond sombre du tableau lui donne une allure fantomatique, dramatique. L’artiste a renforcé les contours d’un trait noir et le costume coloré ainsi que le foulard écarlate se détachent nettement sur le reste et forment un contraste avec l’humeur sombre et lugubre du tableau. Les traits de pinceau exagérément marqués à l'arrière-plan renforcent encore cette atmosphère d'inquiétude. Greco veut avant tout transmettre des émotions au détriment de la représentation réaliste.
#22 – Inquiétude - huile sur toile - 100 x 73cm - 1938
Taureaux
Au cours d’un voyage dans le sud-ouest de la France en 1938, Roman Greco, fut invité à une corrida par un groupe d’amis, mais dès la fin du premier combat, il se leva blème, “plus jamais ça !” dit-il en quittant les lieux. Quelques mois plus tard, son camarade Chaïm Soutine lui présente quelques-uns de ses tableaux animaliers: il y met en scène ses angoisses morbides et son désespoir en peignant des bêtes abattues, écorchées sanglantes. Ces deux évènements sont sûrement à l’origine des tableaux #24 et 25 et du dessin #72.
Ce premier tableau (#25) transcrit toute la violence du spectacle et la confusion, le désarroi ressentis par le peintre. Il flagelle la surface de la toile de traits puissants et acérés qui avec les lignes courbes suggèrent des mouvements désordonnés. La masse noire du taureau ressort nettement sur un fond orangé, on y distingue, à droite, la silhouette du matador qui tend le bras; la lame bleue de son épée frappe la tête de l’animal. Deux petits traits noirs légèrement obliques esquissent comme un sourire de satisfaction sur son visage. Le corps du taureau aux contours mal définis est fait de couches successives appliquées de bas en haut pour figurer les soubresauts d‘un animal en détresse. Les tons bruns et rougeâtres sur le dos montrent des blessures et, sur ses flancs, des traînées blanchâtres coulent comme de l’écume, de la transpiration. La bête est à bout, épuisée. Cependant, c’est sa tête qui capte toute l’attention: occupant la partie centrale du tableau, ses contours sont un peu mieux définis que le reste. Et cet oeil blanc! Cet oeil blanc qui ressort comme un appel au secours, effrayé, désemparé mais aussi effrayant, désemparant.
Plus qu’un taureau et un matador, ce sont ses émotions, son désarroi, son dégoût que Roman Greco a représentés ici. Rien à voir cependant avec les excès sanguinolents de Soutine qui avaient aussi choqué Greco.
#25 – Taureau - huile sur toile - 92x73cm – 1938
L’autre tableau (#24) témoigne d’émotions plus intériorisées mais tout aussi fortes: par sa composition d’abord. La masse noirâtre du taureau occupe la plus grande partie de la surface peinte, son corps touchant chacun des quatre côtés, entre tout juste dans le cadre.(comme un zoom prenant le sujet au plus près.) Il s’en dégage une telle impression de présence, de force et de puissance qu’on croirait l’animal prêt à bondir hors de la toile.
Le choix d’un fond rouge vermillon pour figurer le sable de l’arène n’est pas anodin, réalisé au couteau comme un aplat, il contribue en tous cas à faire ressortir toute la force de l’animal. La pâte étalée impulsivement et anarchiquement sur le dos et la nuque déformés témoignent de la violence des coups reçus, on y devine des plaies, des coupures et du sang qui a coulé jusque sur le front et les cornes. Le taureau meurtri, tête baissée, épuisé, semble résigné mais son regard vide devient inquiétant, menaçant, effrayant. Soudain on se réveille, non ce n’est pas un effet de zoom, on est là, debout, exactement à la place du matador qui va donner l’estocade, à moins que...
#24 - Le vaincu - huile sur toile - 92x75cm - 1939
#72 – encre de Chine - Corrida - 50x65cm
Ce dessin à l’encre de chine illustre la même violence, la même confusion, le même cauchemar que les deux tableaux précédents. Les nombreuses lignes courbes traduisent les mouvements désordonnés du taureau, les lignes fines, ténues qui figurent le matador soulignent sa fragilité comparées aux traits lourds et épais qui donnent tout son poids, toute sa force à la bête rendue furieuse.
Dans cette composition simplifiée, le jeu des lignes et les variations sur les bleus créent un espace harmonieux fait de contrastes et d’accords. l’opposition entre les bleus et les ocres -tempérée par le rouge- donne à ces fruits une présence un peu “solennelle”. Les tracés rectilignes sont équilibrés par les lignes courbes de la zone centrale et quelques traits lumineux compensent l’aspect sombre du mur. Ces arrangements organisés de formes, couleurs, ombres et lumière en font une peinture apaisée.
#51 - Les fruits - huile sur toile - 64x50cm – 1938
Reprenant des techniques de l’Art Africain” et du cubisme expérimentées par Picasso et Braque quelques décénies auparavant, cette silhouette dont la forme globale surgit comme une apparition s’impose au regard. Jetées sur le spectateur, ses formes simplifiées, schématisées contribuent à en faire une image dramatisée.
La douceur des courbes et les couleurs chaudes des deux corps s’opposent à la raideur et la verticalité des murs sur le côté ainsi qu’à la froideur des aplats gris bleutés. Tendresse dans un étau de dureté. Encore une fois, Roman Greco a sacrifié la vérité anatomique au profit de la structure interne de l'œuvre . Mais pourquoi “Noël dans les décombres”? Les murs sont peut être des vestiges, des ruines, mais rien ne semble évoquer Noël si ce n’est le thème de la mère et l’enfant, de la naissance et rien, bien au contraire ne suggère un Noël festif, qu’il soit religieux ou profane. Cette maman est seule dans un environnement vide et froid, le visage délicatement penché sur son bébé; mais que fait-elle? Elle pense? Elle songe? Elle attend? Elle se résigne? Elle pleure? On ne le sait pas. Mais nul ne peut rester insensible devant ce dénuement, cette immense solitude, devant cette profondeur métaphysique.
#45 - Noël dans les décombres - huile sur toile - 81x65cm – 1937